Ici sous l'eau, c'est frais
et calme.
Ici tu peux te reposer, ici tu peux
dormir et faire de doux rêves,
en te balançant sur les eaux
ondulantes,
où, pleine d'une nature
douce,
seule la vague sommeille sur
la rive aride.
Sur la mer ondulante, la
princesse de la mer glisse derrière toi.
Elle t'appelle ; elle
chante, t'appelant à la rejoindre.
(Borodine, la princesse de la mer)
Lucullus
dîne chez Lucullus, et Boro dîne chez Borodine
(vieux dicton latin)
Un homme et une musique généreux
Deux
morceaux ont suffi à Borodine pour asseoir sa renommée : Dans les
steppes de l'Asie centrale et
les Danses polovtsiennes du Prince Igor. Pendant
longtemps – au moins en Europe de l’ouest - on ne connaissait guère de lui que
cela.
Œuvres
célèbres à juste titre. En effet, il est vrai que les Danses sont un
sommet de l'art musical russe, un vrai trait de génie. Les steppes sont
un autre trait de génie: l'auteur a réussi à y créer une atmosphère
complètement envoûtante, simplement en exposant séparément, puis en
superposant, deux petits thèmes. Ce procédé est l’un des b.a.-ba de la
composition « classique ». Mais justement sa réussite demande de
l’inspiration !
Deux
morceaux !
Serait-ce
à dire que tout le reste de sa production ne vaut rien ?
Voilà
un musicien considéré comme relativement secondaire par les historiens de la
musique.
Ceux-ci lui préfèrent Moussorgski surtout, et aussi
Rimski-Korsakov, qui leur fournissent plus de matière de nature historique
(originalité formelle, apports « novateurs »). Il a été en général
coincé dans les histoires de la musique entre César Cui et Modeste Moussorgski,
pour n’en jamais sortir. Mieux traité certes que le premier – pour lequel j’ai
plus de souvenirs de plaisanteries sur son nom [1] que de musique entendue –
mais nettement moins bien que le deuxième.
Comment
diable peut-on porter ce genre de jugement?
Comment?
Eh bien quand on juge en musicologue ou en historien. Et non pas lorsqu’on
apprécie en musicien, et encore moins en mélomane!
Il
a peu écrit. Mais il a écrit tout de même autre chose que les deux œuvres
pré-citées!.
Les
amateurs s'en sont d'ailleurs rendus compte depuis quelques années, et leur
demande a fait que l’on trouve maintenant en disques à peu près tout ce qui a
été publié de lui. On commence même à trouver plusieurs versions de son 2e
quatuor, de sa 2e symphonie….
\ \ \
Voyons
ce qu’il en est.
Son catalogue est assez restreint, et comme j’ai le
bonheur d’avoir écouté tout ce que j’ai pu trouver, je peux me permettre de
vous en parler un peu:
Orchestre :
3 symphonies (la 3e
inachevée)
Dans les steppes de l'Asie
centrale
Petite suite
Musique de chambre
:
Sonate pour violoncelle et
piano
Quintette avec piano
2 quatuors à cordes
Quelque 16 mélodies
Et bien sûr, son opéra, "le
Prince Igor".
Je
crois que c'est à peu près tout. En tout, pas plus de 7 h 30' de musique.
Précisons qu’il s’agit là de la musique publiée. Il en a peut-être, voire
probablement, écrit d’autres, mais elles sont soit perdues, soit non encore
retrouvées. Non encore …. Mentionnons par exemple que la sonate pour
violoncelle et piano n’a été reconstituée que récemment (reconstituée,
non pas simplement découverte !), et publiée en 1982 !
Son opéra aussi a dû être
reconstitué, voire achevé; il le fut par Rimski-Korsakov et Glazounov, ce
dernier allant jusqu'à écrire de mémoire certains passages que Borodine avait
joué au piano sans l'avoir encore écrit (notamment la très belle
ouverture) ! Des grincheux ont critiqué les libertés que ces compositeurs ont
pu prendre avec les notes éparses de leur ami ; n'empêche que nous ne
pouvons que rendre hommage à leur travail, dicté par les seuls soucis de
l'amitié et de la mise en valeur d'une œuvre (et après tout, ni Rimski ni
Glazounov ne sont des incapables en musique !). Et le résultat est
là : je peux vous en parler car je suis très difficile en matière
d’opéra ; celui-ci est l'un des rares où je ne sente pratiquement pas une
minute d'affaiblissement musical [2]: une grande majorité de beaux airs et
chœurs ; et assez peu de récitatifs, ceux-ci restant très expressifs et
bien typés.
La
sortie de la 3e symphonie fut encore plus épique. Borodine en avait
quasiment improvisé le 1er mouvement devant Glazounov le
matin même de sa mort ! Ce dernier avait une sacrée mémoire !
D’ailleurs après avoir re-transcrit ce 1er mouvement, il est aussi
allé fouiller dans les papiers épars pour y trouver les bribes de ce qu’il
estimera ensuite faire un 2e mouvement fort convenable pour ajouter
au premier, afin que l’on puisse parler de « symphonie », même
inachevée.
\ \ \
De
tout ce qui a été publié, il n'y a rien à rejeter, tout porte la marque de son style.
7
h 30 de musique, c’est peu, par rapport à presque tous les compositeurs.
Mais
7 h 30 entièrement réussies, somme toute c’est tout à fait honorable par
rapport à beaucoup d’autres plus connus.
La 1e symphonie, la sonate avec violoncelle
et le quintette sont encore des oeuvres dites "de jeunesse", mais
déjà toutes imprégnées du son parfum mélodique qui le caractérise, parfum
tellement séduisant que rares sont les mélomanes qui y restent indifférents. Il
n'a inventé aucun style formel, d'où sa moindre importance pour les
musicologues ; mais ce parfum lui est personnel et inimitable ; les
musicologues n’ont pu d’ailleurs que le reconnaître, mais cela ne suffit pas à
remplir des pages d’analyse historique ; dire cela prend seulement une
ligne, et voilà pourquoi sa place est insignifiante pour les historiens.
Quand
je dis "œuvres de jeunesse", entendons-nous; elles n'en sont pas
moins belles; cela signifie que son style n'y est pas encore définitivement
assis, encore un peu hésitant.
Par exemple dans la sonate pour violoncelle et piano (1860), le thème de base n'est pas de Borodine, mais de Bach (ce qui n'est pas un défaut!). Pourtant, après l'avoir exposé à peu près tel quel, il en tire plusieurs thèmes différents qui feront la matière première ou secondaire des 3 mouvements de l'œuvre, versions dont le climat n'a plus rien à voir avec celui de Bach.
Dans le 1er mouvement,
voici d’entrée le motif de Bach exposé tel quel (ex.1); puis varié alla
Bach (ex.2); ensuite il s’éloigne du
modèle (ex.3) pour aboutir à des
tournures mélodiques complètement borodiniennes (ex.4, ex.5, ex.6). Dans le mouvement lent, il
apparaît seulement au milieu en motif secondaire ; de binaire il passe à
ternaire (ex.7), puis sert de départ
à une cadence de violoncelle (ex.8).
Dans le 3e mouvement il reprend sa forme initiale en guise
d’introduction (ex.9) pour ensuite
redevenir ternaire et lancer… une danse russe (ex.10) ; il apparaît en contrepoint
discret du deuxième thème de ce mouvement qui est une mélodie « 100%
borodine » (ex.11) ; enfin il
conclut le morceau (ex.12).
Donc
on pourra parler d'œuvre de jeunesse, mais finalement dans le bon sens du
terme, l'âge où l'on essaie un peu toutes sortes de choses, et cette sonate
débordante d’inspiration prouve que cela peut se passer avec le plus grand
bonheur.
Les
autres œuvres dites de jeunesse sont entièrement personnelles et
caractéristiques du style de Borodine, et méritent le déplacement : le quintette,
le 1er quatuor et la 1e symphonie.
J’ai
entendu il y a peu de mois (fin 2004) une émission sur Borodine (à
France-Musique ou Radio Classique), où l’expert de service exprimait quelque
mépris vis-à-vis de ces « œuvres de jeunesse ». Je tiens à m’inscrire
en faux contre une telle attitude négative, notamment dans une émission
publique, où cette attitude pourrait être susceptible de détourner un auditeur
neuf de beaucoup de belles choses ; une telle attitude ne peut provenir
que de quelqu’un qui ne les a pas écoutées, ces « œuvres de jeunesse » !
Et qui parle donc sans savoir !
Je
n’insisterai pas sur la qualité des symphonies. La 2e est maintenant
assez connue et reconnue sans doute ; elle est la plus jouée, mais les deux
autres valent autant le voyage.
Je
suis aussi difficile en mélodies qu’en opéras, c’est-à-dire particulièrement.
Toutes les siennes sont superbes. Le génie propre du compositeur s’y exprime
avec des teintes très diverses, depuis le style de la chanson russe (ex. La fille du pêcheur
– encore une œuvre « de jeunesse »), en passant par le voisinage de
Moussorgski, jusqu’à des climats sonores pré-impressionnistes (ex. La Reine de la Mer, cf
texte supra) ou encore, de teintes proches de Henri Duparc (dont les mélodies
sont exactement contemporaines). Noter que sur ces 16 mélodies, 6 textes sont
de Borodine lui-même (le texte du Prince Igor aussi, d’ailleurs – mais non pas
bien sûr son argument qui est une vielle chanson de geste).
J’attire
enfin votre attention sur une partition qui risquerait de passer inaperçue à
cause de la modestie de ses dimensions autant que de son nom. En réalité il
s’agit d’un concentré, tout à fait réjouissant et absolument sans prétention,
de mélodies et de timbres borodiniens, à consommer sans modération : la petite
suite pour orchestre (en fait, orchestration de morceaux épars écrits pour
piano, et réunis par Glazounov encore, si je me souviens bien. Dans le disque
présentant l’original pour piano, on trouve aussi quelques oeuvrettes fort
plaisantes écrites sur 4 notes, amusements de fort bonne humeur).
\ \ \
Le fait qu’un article sur Borodine soit le premier
présenté sur ce site, est dû un peu au hasard, ainsi qu’à ma grande inclination
pour sa musique. Toutefois dans le cadre du filigrane de mes propos, qui
je le rappelle est le partage de bonheurs, cette place n’est absolument
pas usurpée, pour les raisons suivantes.
La
première, c’est que je trouve toute sa musique irrésistible, inspirée et
enthousiasmante. Pas l’ombre d’une tristesse pesante. Des chants profonds
certes (sorte de cante jondo [3]
à la russe, si je puis dire, comme dans la chanson de la forêt
profonde[4]) mais sans le
moindre épanchement alla Tchaïkovski [5] ; du mouvement aussi, quelquefois
débridé ou débordant de vie (ex. les Danses polovtsiennes), mais
beaucoup plus dansant que violent. Une musique réjouissante, comme je le
disais de sa petite suite. Une de ces musiques qui pourraient bien vous
rendre meilleurs….
La seconde est que le climat de l'œuvre de Borodine
ressemble bien à l'homme, ceci à un point que l’on ne trouve pas forcément chez
tous les artistes.
Simone
Weil disait qu’ « un amateur de musique peut bien sûr être pervers,
mais je le croirais difficilement d’un amateur de chant grégorien ».
La paraphrasant, je dirais : je le croirais difficilement du compositeur
de … la musique de Borodine.
La
musique est à la hauteur de l’homme, et l’homme est à la hauteur de sa musique
- pour ce que l'on connaît de sa vie; précisément, on la connaît bien, sa vie,
car sa maison était la maison du bon Dieu: toutes sortes d’êtres humains divers
et variés, et de chats, y entraient et en sortaient en toute liberté; il y a
donc beaucoup de témoignages sur sa vie (on n'a toutefois pas recueilli le
témoignage des chats).
La
musique de Borodine est donc à l'image de sa vie: noble, généreuse, inachevée,
insouciante et débordante de vie. Il était également médecin et chimiste réputé
[6]. L’expert de service que j’ai critiqué
ci-dessus disait (et ici, je l’approuve entièrement) que c’était un homme
essentiellement « positif » - qualité tranchant d’ailleurs quelque
peu au sein d’un art russe souvent sombre à cette époque, tant en littérature
qu’en musique. Pour ma part, je reconnais aussi cette qualité à Rimski-Korsakov
– dont je parlerai prochainement -, et je crains que ce ne soit à peu près
tout.
Voilà
donc un homme qui ignorait la mauvaise humeur et la méchanceté. Le
Prince Igor ne contient pas de drame; Borodine, qui a écrit lui-même le livret
à partir d’un canevas fourni par Vladimir Stassov [7],
l'a rendu épique, pas du tout tragique. Il y a de l’action, du mouvement, mais
aucune scène de violence (alors qu’il y en a par exemple quelquefois de rudes
dans les fééries de Rimski-Korsakov). L'air de Kontchak, pourtant l'ennemi
d'Igor, est aussi (voire plus) noble et émouvant que celui d'Igor ;
c’est que ce dernier n’est préoccupé que du retour dans sa patrie, alors que le
premier, rempli d’une estime chevaleresque pour son ennemi, est en train
d’offrir à son prisonnier le partage de son propre pouvoir.
Aucun
des personnages de son opéra n'est antipathique, tous ont au moins un côté
sympathique.
Borodine
ignorait tellement la mauvaise humeur que c'est en faisant le pitre lors d'une
soirée entre amis qu'il mourut subitement.
Cette
musique est de celles qui pourraient bien nous rendre meilleurs.
N’est-ce
pas peut-être l’amour qui a dicté à ce compositeur son inspiration ?
L’amour de sa femme, qui lui a dicté le 2e quatuor à cordes, qui lui
est expressément dédié, et en particulier le nocturne, pièce devenue
relativement célèbre maintenant ? L'amour du prochain qui lui a dicté ses
mélodies, toujours séduisantes même au sein du rythme le plus vigoureux ou des
situations les plus critiques ? Même le prince Galitski (de son opéra)
n’arrive pas à être odieux, c’est avec une désarmante simplicité musicale qu’il
affirme ses turpitudes !
Toutes
ses œuvres sont l'expression d'une inspiration nécessaire; je n'ai pas senti
une mesure de remplissage; des fois il saute un peu du coq à l'âne, mais ce
n'est pas un défaut, c'est sa nature. Tout y est prenant.
Beaucoup
de musiciens, même des meilleurs, ont des moments où l'inspiration laisse le
pas à la technique. Beaucoup de musiciens ont aussi tendance à se répéter (même
quand on s'appelle Bach, lorsqu'il faut produire sa cantate hebdomadaire
pendant des années en plus de tout le reste du travail, il est bien naturel que
l'inspiration tourne parfois en rond!).
Borodine
est de ceux, rares, dont tout est à prendre, rien à laisser; pas de baisse de
régime.
Il
avait peu de temps libre pour composer, il n'avait donc pas de temps à perdre à
ne rien dire!
Il
y a souvent chez lui de ces mélodies dont on se dit, à chaque fois qu'on
l'entend : « c'est la plus belle mélodie du monde ! ».
Plusieurs d’entre vous êtes sans doute comme moi, en écoutant la mélodie des
Polovtsiennes au sein des Danses du même nom, à vous dire que c’est la plus
belle mélodie du monde. Et c’est vrai : il y a dedans un véritable trait
de génie, un souffle unique en son genre, une perfection qui fait que dans
l’instant elle est la plus belle du monde. Mais il y en a chez lui
beaucoup d’autres du même tonneau, toutes aussi irrésistibles, en tout cas je pense
que les exemples sonores vous permettent d’en juger. Il n'y a pas une œuvre
sans une de ces mélodies ou de ces thèmes qui vous donnent l'impression sur le
moment d'être la plus belle qui existe. Pas une. Vous en trouverez vingt dans
le Prince Igor, vingt dans ses symphonies, dix dans
La
mélodie « coule de source » chez lui.
Debussy,
cet homme de goût, ne s'y était pas trompé: pour lui les trois grands Russes
connus (vers 1905) étaient Moussorgski, Rimski-Korsakov, et Borodine,
sans préséance. Je partage cette opinion; vous me permettrez de placer Borodine
en premier dans mon goût personnel, et j'oserais dire que de tous le russes,
c'est celui qui dans l’ensemble a le langage mélodique le plus séduisant. Les
autres ont évidemment d’autres qualités (je parlerai de Rimski-Korsakov, que
j’aime beaucoup aussi), mais on ne retirera pas à Borodine celle du génie
mélodique.
Une
vie un peu brouillonne, semble-t-il….
Certes,
c’était un touche-à-tout, et le risque pour un touche-à-tout est de ne rien
réussir. Il était chimiste, discipline où il a fait plus que réussir. Il était
médecin (ce qui ne veut pas dire qu’il prenait grand soin de sa santé…). Il
avait appris plusieurs instruments, il maîtrisait la flûte, et surtout le piano
et le violoncelle, il savait jouer de mémoire ses compositions en entier avant
de les avoir écrites. Il écrivait ses propres textes, et le livret de son opéra
est de très bonne facture, réussissant à être épique quasiment sans violence
(je ne juge ici que la traduction !). Un touche-à-tout de génie.
Un
homme bon, qui pratiquait l’amitié, comme le prouve l’ardeur qu’en retour ses
amis développèrent à mettre son œuvre sur pied ; sa bonté est vraie, et le
signe de cette vérité est sa bonne humeur, son côté toujours
« positif » ; et sa musique a le parfum communicatif de cette
bonté et de cette bonne humeur conjointes.
Références :
Nina Berberova. Alexandre Borodine. (1937)
http://perso.wanadoo.fr/jean.stephan/pages/compositeurs/B/borodine.htm (aux dernières nouvelles, ce site est fermé; mais je le cite car il avait de bons articles)
http://membres.lycos.fr/andros/b/borod.htm
Cello sonata; piano quintet in C minor; string quartet n°2. Prazak quartet; Jaromir Klepac, piano. 8 Praga digitals.
Mélodies : voir dans Mélodies russes; basse: Boris Christoff; 8 EMI. (avec des mélodies de Glinka, Cui, Balakirev, Rimski-Korsakov, Tchaïkovski, Rachmaninov).
[1] Dont celle d’Alphonse Allais – qui prouve au moins que Cui était connu en France de son vivant. Je la mentionne en substance : Allais célèbre l’alliance des produits russes et français dans les épiceries, représentés respectivement par César Cui et Félix Potin, et cite la phrase immortelle de Virgile : « Felix Cui Potin cosaques riz rhum cognac Xeres » (rappel de l’original : « Felix qui potuit causas rerum cognoscere » - Heureux qui peut connaître les causes des choses).
[2] Non pas de l’ennui, mais de ces moments où la musique n’est plus assez captivante pour empêcher l’esprit de vagabonder un peu.
[3] « Chant profond » en espagnol . C’est l’un des deux types du chant flamenco, le plus émouvant. « Un rarissime exemple de chant primitif, le plus vieux de toute l’Europe ; il a la nudité, l’émotion frémissante des races orientales », disait Manuel de Falla. Je m’autoriserai de cette définition pour l’appliquer à des chants d’autres nations dont le caractère « profond » est manifeste. Ici, ce me semble être typiquement le cas.
[4] Sur un poème de Borodine lui-même :
La forêt ténébreuse s'est agitée,
la forêt ténébreuse a hurlé,
en chantant son chant;
c'était un chant ancien,
elle racontait un vrai conte
d'antan;
qu'une puissante volonté y résidait
autrefois;
qu'une puissante force s'y était
rassemblée.
Que cette volonté s'est déchaînée,
que cette grande force s'est mise
en rage,
et que cette volonté s'est élancée
pour distribuer des châtiments.
La grande force a capturé des
villes,
s'est moquée de ses ennemis,
et s'est abreuvée du sang de ses
ennemis.
Ô,
puissante volonté, puissante force.
[5] Je ne suis pas de ceux qui dédaignent
Tchaïkovski, bien au contraire, et j'ai prévu de parler de lui. Mais il faut
reconnaître ce qui est. En particulier sa 6e symphonie!
[6] Ce n’est pas le lieu de parler d’autre chose que de musique, mais pour résumer l’homme, il faut en rappeler le principal. Il travailla avec Mendeleïev ; il était peu soucieux de gloire, et il a été dit que certains résultats attribués à son « patron » seraient dus à Borodine. Il fonda aussi une école de médecine pour jeunes filles. Ses amis chimistes lui reprochaient de passer trop de temps à la musique, ses amis musiciens de passer trop de temps à la chimie ; sous le régime soviétique, il était plus reconnu comme savant que comme musicien.
Remarquons que plusieurs « savants », réputés également en tant qu’hommes de haute valeur morale, ont été en même temps bons musiciens : Einstein, Schweitzer….
[7] Critique d’art, il encouragea le groupe des Cinq, et fournit des idées ou des livrets à Rimski-Korsakov, Moussorgski, et aussi Tchaïkovski.