Alexandre Borodine

 

 

Viens me voir la nuit, jeune voyageur.

Ici sous l'eau, c'est frais et calme.  

Ici tu peux te reposer, ici tu peux dormir et faire de doux rêves,

en te balançant sur les eaux ondulantes,

où, pleine d'une nature douce,

seule la vague sommeille sur la rive aride.

Sur la mer ondulante, la princesse de la mer glisse derrière toi.

Elle t'appelle ; elle chante, t'appelant à la rejoindre.

                                                                                                                                              (Borodine, la princesse de la mer)  

Lucullus dîne chez Lucullus, et Boro dîne chez Borodine  

                                                                                                                                        (vieux dicton latin)

 

     

 Deux morceaux

 Catalogue

 Quelques commentaires

 Un homme et une musique généreux

 

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Deux morceaux ont suffi à Borodine pour asseoir sa renommée : Dans les steppes de l'Asie centrale et les Danses polovtsiennes du Prince Igor. Pendant longtemps – au moins en Europe de l’ouest - on ne connaissait guère de lui que cela.

Œuvres célèbres à juste titre. En effet, il est vrai que les Danses sont un sommet de l'art musical russe, un vrai trait de génie. Les steppes sont un autre trait de génie: l'auteur a réussi à y créer une atmosphère complètement envoûtante, simplement en exposant séparément, puis en superposant, deux petits thèmes. Ce procédé est l’un des b.a.-ba de la composition « classique ». Mais justement sa réussite demande de l’inspiration !

 

Deux morceaux !

Serait-ce à dire que tout le reste de sa production ne vaut rien ?

 

Voilà un musicien considéré comme relativement secondaire par les historiens de la musique.

Ceux-ci lui préfèrent Moussorgski surtout, et aussi Rimski-Korsakov, qui leur fournissent plus de matière de nature historique (originalité formelle, apports « novateurs »). Il a été en général coincé dans les histoires de la musique entre César Cui et Modeste Moussorgski, pour n’en jamais sortir. Mieux traité certes que le premier – pour lequel j’ai plus de souvenirs de plaisanteries sur son nom [1] que de musique entendue – mais nettement moins bien que le deuxième.

Comment diable peut-on porter ce genre de jugement?

Comment? Eh bien quand on juge en musicologue ou en historien. Et non pas lorsqu’on apprécie en musicien, et encore moins en mélomane!

Il a peu écrit. Mais il a écrit tout de même autre chose que les deux œuvres pré-citées!.

Les amateurs s'en sont d'ailleurs rendus compte depuis quelques années, et leur demande a fait que l’on trouve maintenant en disques à peu près tout ce qui a été publié de lui. On commence même à trouver plusieurs versions de son 2e quatuor, de sa 2e symphonie….

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Voyons ce qu’il en est.

Son catalogue est assez restreint, et comme j’ai le bonheur d’avoir écouté tout ce que j’ai pu trouver, je peux me permettre de vous en parler un peu:

 

         Orchestre :

                   3 symphonies (la 3e inachevée)

                   Dans les steppes de l'Asie centrale

                   Petite suite   

         Musique de chambre : 

                   Sonate pour violoncelle et piano

                   Quintette avec piano

                   2 quatuors à cordes        

         Quelque 16 mélodies  

         Et bien sûr, son opéra, "le Prince Igor".

 

Je crois que c'est à peu près tout. En tout, pas plus de 7 h 30' de musique. Précisons qu’il s’agit là de la musique publiée. Il en a peut-être, voire probablement, écrit d’autres, mais elles sont soit perdues, soit non encore retrouvées. Non encore …. Mentionnons par exemple que la sonate pour violoncelle et piano n’a été reconstituée que récemment (reconstituée, non pas simplement découverte !), et publiée en 1982 !

Son opéra aussi a dû être reconstitué, voire achevé; il le fut par Rimski-Korsakov et Glazounov, ce dernier allant jusqu'à écrire de mémoire certains passages que Borodine avait joué au piano sans l'avoir encore écrit (notamment la très belle ouverture) ! Des grincheux ont critiqué les libertés que ces compositeurs ont pu prendre avec les notes éparses de leur ami ; n'empêche que nous ne pouvons que rendre hommage à leur travail, dicté par les seuls soucis de l'amitié et de la mise en valeur d'une œuvre (et après tout, ni Rimski ni Glazounov ne sont des incapables en musique !). Et le résultat est là : je peux vous en parler car je suis très difficile en matière d’opéra ; celui-ci est l'un des rares où je ne sente pratiquement pas une minute d'affaiblissement musical [2]: une grande majorité de beaux airs et chœurs ; et assez peu de récitatifs, ceux-ci restant très expressifs et bien typés.

La sortie de la 3e symphonie fut encore plus épique. Borodine en avait quasiment improvisé le 1er mouvement devant Glazounov le matin même de sa mort ! Ce dernier avait une sacrée mémoire ! D’ailleurs après avoir re-transcrit ce 1er mouvement, il est aussi allé fouiller dans les papiers épars pour y trouver les bribes de ce qu’il estimera ensuite faire un 2e mouvement fort convenable pour ajouter au premier, afin que l’on puisse parler de « symphonie », même inachevée.

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De tout ce qui a été publié, il n'y a rien à rejeter, tout porte la marque de son style.

7 h 30 de musique, c’est peu, par rapport à presque tous les compositeurs.

Mais 7 h 30 entièrement réussies, somme toute c’est tout à fait honorable par rapport à beaucoup d’autres plus connus.

 

La 1e symphonie, la sonate avec violoncelle et le quintette sont encore des oeuvres dites "de jeunesse", mais déjà toutes imprégnées du son parfum mélodique qui le caractérise, parfum tellement séduisant que rares sont les mélomanes qui y restent indifférents. Il n'a inventé aucun style formel, d'où sa moindre importance pour les musicologues ; mais ce parfum lui est personnel et inimitable ; les musicologues n’ont pu d’ailleurs que le reconnaître, mais cela ne suffit pas à remplir des pages d’analyse historique ; dire cela prend seulement une ligne, et voilà pourquoi sa place est insignifiante pour les historiens.

Quand je dis "œuvres de jeunesse", entendons-nous; elles n'en sont pas moins belles; cela signifie que son style n'y est pas encore définitivement assis, encore un peu hésitant.

Par exemple dans la sonate pour violoncelle et piano (1860), le thème de base n'est pas de Borodine, mais de Bach (ce qui n'est pas un défaut!). Pourtant, après l'avoir exposé à peu près tel quel, il en tire plusieurs thèmes différents qui feront la matière première ou secondaire des 3 mouvements de l'œuvre, versions dont le climat n'a plus rien à voir avec celui de Bach.

Dans le 1er mouvement, voici d’entrée le motif de Bach exposé tel quel (ex.1); puis varié alla Bach (ex.2); ensuite il s’éloigne du modèle (ex.3) pour aboutir à des tournures mélodiques complètement borodiniennes (ex.4, ex.5, ex.6). Dans le mouvement lent, il apparaît seulement au milieu en motif secondaire ; de binaire il passe à ternaire (ex.7), puis sert de départ à une cadence de violoncelle (ex.8). Dans le 3e mouvement il reprend sa forme initiale en guise d’introduction (ex.9) pour ensuite redevenir ternaire et lancer… une danse russe (ex.10) ; il apparaît en contrepoint discret du deuxième thème de ce mouvement qui est une mélodie « 100% borodine » (ex.11) ; enfin il conclut le morceau (ex.12).

Donc on pourra parler d'œuvre de jeunesse, mais finalement dans le bon sens du terme, l'âge où l'on essaie un peu toutes sortes de choses, et cette sonate débordante d’inspiration prouve que cela peut se passer avec le plus grand bonheur.

 

Les autres œuvres dites de jeunesse sont entièrement personnelles et caractéristiques du style de Borodine, et méritent le déplacement : le quintette, le 1er quatuor et la 1e symphonie.

J’ai entendu il y a peu de mois (fin 2004) une émission sur Borodine (à France-Musique ou Radio Classique), où l’expert de service exprimait quelque mépris vis-à-vis de ces « œuvres de jeunesse ». Je tiens à m’inscrire en faux contre une telle attitude négative, notamment dans une émission publique, où cette attitude pourrait être susceptible de détourner un auditeur neuf de beaucoup de belles choses ; une telle attitude ne peut provenir que de quelqu’un qui ne les a pas écoutées, ces « œuvres de jeunesse » ! Et qui parle donc sans savoir !

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Je n’insisterai pas sur la qualité des symphonies. La 2e est maintenant assez connue et reconnue sans doute ; elle est la plus jouée, mais les deux autres valent autant le voyage.

Je suis aussi difficile en mélodies qu’en opéras, c’est-à-dire particulièrement. Toutes les siennes sont superbes. Le génie propre du compositeur s’y exprime avec des teintes très diverses, depuis le style de la chanson russe (ex. La fille du pêcheur  – encore une œuvre « de jeunesse »), en passant par le voisinage de Moussorgski, jusqu’à des climats sonores pré-impressionnistes (ex. La Reine de la Mer, cf texte supra) ou encore, de teintes proches de Henri Duparc (dont les mélodies sont exactement contemporaines). Noter que sur ces 16 mélodies, 6 textes sont de Borodine lui-même (le texte du Prince Igor aussi, d’ailleurs – mais non pas bien sûr son argument qui est une vielle chanson de geste).

J’attire enfin votre attention sur une partition qui risquerait de passer inaperçue à cause de la modestie de ses dimensions autant que de son nom. En réalité il s’agit d’un concentré, tout à fait réjouissant et absolument sans prétention, de mélodies et de timbres borodiniens, à consommer sans modération : la petite suite pour orchestre (en fait, orchestration de morceaux épars écrits pour piano, et réunis par Glazounov encore, si je me souviens bien. Dans le disque présentant l’original pour piano, on trouve aussi quelques oeuvrettes fort plaisantes écrites sur 4 notes, amusements de fort bonne humeur).

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Le fait qu’un article sur Borodine soit le premier présenté sur ce site, est dû un peu au hasard, ainsi qu’à ma grande inclination pour sa musique. Toutefois dans le cadre du filigrane de mes propos, qui je le rappelle est le partage de bonheurs, cette place n’est absolument pas usurpée, pour les raisons suivantes.

 

La première, c’est que je trouve toute sa musique irrésistible, inspirée et enthousiasmante. Pas l’ombre d’une tristesse pesante. Des chants profonds certes (sorte de cante jondo [3] à la russe, si je puis dire, comme dans la chanson de la forêt profonde[4]) mais sans le moindre épanchement alla Tchaïkovski [5] ; du mouvement aussi, quelquefois débridé ou débordant de vie (ex. les Danses polovtsiennes), mais beaucoup plus dansant que violent. Une musique réjouissante, comme je le disais de sa petite suite. Une de ces musiques qui pourraient bien vous rendre meilleurs….

 

La seconde est que le climat de l'œuvre de Borodine ressemble bien à l'homme, ceci à un point que l’on ne trouve pas forcément chez tous les artistes.

Simone Weil disait qu’ « un amateur de musique peut bien sûr être pervers, mais je le croirais difficilement d’un amateur de chant grégorien ». La paraphrasant, je dirais : je le croirais difficilement du compositeur de … la musique de Borodine.

La musique est à la hauteur de l’homme, et l’homme est à la hauteur de sa musique - pour ce que l'on connaît de sa vie; précisément, on la connaît bien, sa vie, car sa maison était la maison du bon Dieu: toutes sortes d’êtres humains divers et variés, et de chats, y entraient et en sortaient en toute liberté; il y a donc beaucoup de témoignages sur sa vie (on n'a toutefois pas recueilli le témoignage des chats).

La musique de Borodine est donc à l'image de sa vie: noble, généreuse, inachevée, insouciante et débordante de vie. Il était également médecin et chimiste réputé [6]. L’expert de service que j’ai critiqué ci-dessus disait (et ici, je l’approuve entièrement) que c’était un homme essentiellement « positif » - qualité tranchant d’ailleurs quelque peu au sein d’un art russe souvent sombre à cette époque, tant en littérature qu’en musique. Pour ma part, je reconnais aussi cette qualité à Rimski-Korsakov – dont je parlerai prochainement -, et je crains que ce ne soit à peu près tout.

 

Voilà donc un homme qui ignorait la mauvaise humeur et la méchanceté. Le Prince Igor ne contient pas de drame; Borodine, qui a écrit lui-même le livret à partir d’un canevas fourni par Vladimir Stassov [7], l'a rendu épique, pas du tout tragique. Il y a de l’action, du mouvement, mais aucune scène de violence (alors qu’il y en a par exemple quelquefois de rudes dans les fééries de Rimski-Korsakov). L'air de Kontchak, pourtant l'ennemi d'Igor, est aussi (voire plus) noble et émouvant que celui d'Igor ; c’est que ce dernier n’est préoccupé que du retour dans sa patrie, alors que le premier, rempli d’une estime chevaleresque pour son ennemi, est en train d’offrir à son prisonnier le partage de son propre pouvoir.

Aucun des personnages de son opéra n'est antipathique, tous ont au moins un côté sympathique.

 

Borodine ignorait tellement la mauvaise humeur que c'est en faisant le pitre lors d'une soirée entre amis qu'il mourut subitement.

 

Cette musique est de celles qui pourraient bien nous rendre meilleurs.

N’est-ce pas peut-être l’amour qui a dicté à ce compositeur son inspiration ? L’amour de sa femme, qui lui a dicté le 2e quatuor à cordes, qui lui est expressément dédié, et en particulier le nocturne, pièce devenue relativement célèbre maintenant ? L'amour du prochain qui lui a dicté ses mélodies, toujours séduisantes même au sein du rythme le plus vigoureux ou des situations les plus critiques ? Même le prince Galitski (de son opéra) n’arrive pas à être odieux, c’est avec une désarmante simplicité musicale qu’il affirme ses turpitudes !

 

Toutes ses œuvres sont l'expression d'une inspiration nécessaire; je n'ai pas senti une mesure de remplissage; des fois il saute un peu du coq à l'âne, mais ce n'est pas un défaut, c'est sa nature. Tout y est prenant.

Beaucoup de musiciens, même des meilleurs, ont des moments où l'inspiration laisse le pas à la technique. Beaucoup de musiciens ont aussi tendance à se répéter (même quand on s'appelle Bach, lorsqu'il faut produire sa cantate hebdomadaire pendant des années en plus de tout le reste du travail, il est bien naturel que l'inspiration tourne parfois en rond!).

Borodine est de ceux, rares, dont tout est à prendre, rien à laisser; pas de baisse de régime.

Il avait peu de temps libre pour composer, il n'avait donc pas de temps à perdre à ne rien dire!

 

Il y a souvent chez lui de ces mélodies dont on se dit, à chaque fois qu'on l'entend : « c'est la plus belle mélodie du monde ! ». Plusieurs d’entre vous êtes sans doute comme moi, en écoutant la mélodie des Polovtsiennes au sein des Danses du même nom, à vous dire que c’est la plus belle mélodie du monde. Et c’est vrai : il y a dedans un véritable trait de génie, un souffle unique en son genre, une perfection qui fait que dans l’instant elle est la plus belle du monde. Mais il y en a chez lui beaucoup d’autres du même tonneau, toutes aussi irrésistibles, en tout cas je pense que les exemples sonores vous permettent d’en juger. Il n'y a pas une œuvre sans une de ces mélodies ou de ces thèmes qui vous donnent l'impression sur le moment d'être la plus belle qui existe. Pas une. Vous en trouverez vingt dans le Prince Igor, vingt dans ses symphonies, dix dans la Petite Suite, trente dans sa musique de chambre, et au moins une, voire deux dans chacune de ses « mélodies ».

La mélodie « coule de source » chez lui.

 

Debussy, cet homme de goût, ne s'y était pas trompé: pour lui les trois grands Russes connus (vers 1905) étaient Moussorgski, Rimski-Korsakov, et Borodine, sans préséance. Je partage cette opinion; vous me permettrez de placer Borodine en premier dans mon goût personnel, et j'oserais dire que de tous le russes, c'est celui qui dans l’ensemble a le langage mélodique le plus séduisant. Les autres ont évidemment d’autres qualités (je parlerai de Rimski-Korsakov, que j’aime beaucoup aussi), mais on ne retirera pas à Borodine celle du génie mélodique.

 

Une vie un peu brouillonne, semble-t-il….

Certes, c’était un touche-à-tout, et le risque pour un touche-à-tout est de ne rien réussir. Il était chimiste, discipline où il a fait plus que réussir. Il était médecin (ce qui ne veut pas dire qu’il prenait grand soin de sa santé…). Il avait appris plusieurs instruments, il maîtrisait la flûte, et surtout le piano et le violoncelle, il savait jouer de mémoire ses compositions en entier avant de les avoir écrites. Il écrivait ses propres textes, et le livret de son opéra est de très bonne facture, réussissant à être épique quasiment sans violence (je ne juge ici que la traduction !). Un touche-à-tout de génie.

Un homme bon, qui pratiquait l’amitié, comme le prouve l’ardeur qu’en retour ses amis développèrent à mettre son œuvre sur pied ; sa bonté est vraie, et le signe de cette vérité est sa bonne humeur, son côté toujours « positif » ; et sa musique a le parfum communicatif de cette bonté et de cette bonne humeur conjointes.

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Références :

 

Nina Berberova. Alexandre Borodine. (1937)

http://perso.wanadoo.fr/jean.stephan/pages/compositeurs/B/borodine.htm (aux dernières nouvelles, ce site est fermé; mais je le cite car il avait de bons articles)

http://membres.lycos.fr/andros/b/borod.htm

 

Cello sonata; piano quintet in C minor; string quartet n°2. Prazak quartet; Jaromir Klepac, piano. 8 Praga digitals.

Mélodies : voir dans Mélodies russes; basse: Boris Christoff; 8 EMI. (avec des mélodies de Glinka, Cui, Balakirev, Rimski-Korsakov, Tchaïkovski, Rachmaninov).

 

  (cliquer pour agrandir)

 

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[1] Dont celle d’Alphonse Allais – qui prouve au moins que Cui était connu en France de son vivant. Je la mentionne en substance : Allais célèbre l’alliance des produits russes et français dans les épiceries, représentés respectivement par César Cui et Félix Potin, et cite la phrase immortelle de Virgile : « Felix Cui Potin cosaques riz rhum cognac Xeres » (rappel de l’original : « Felix qui potuit causas rerum cognoscere » - Heureux qui peut connaître les causes des choses).

 

[2] Non pas de l’ennui, mais de ces moments où la musique n’est plus assez captivante pour empêcher l’esprit de vagabonder un peu.

 

[3] « Chant profond » en espagnol . C’est l’un des deux types du chant flamenco, le plus émouvant. « Un rarissime exemple de chant primitif, le plus vieux de toute l’Europe ; il a la nudité, l’émotion frémissante des races orientales », disait Manuel de Falla. Je m’autoriserai de cette définition pour l’appliquer à des chants d’autres nations dont le caractère « profond » est manifeste. Ici, ce me semble être typiquement le cas.

 

[4] Sur un poème de Borodine lui-même :

La forêt ténébreuse s'est agitée,

la forêt ténébreuse a hurlé,

en chantant son chant;

c'était un chant ancien,

elle racontait un vrai conte d'antan;

qu'une puissante volonté y résidait autrefois;

qu'une puissante force s'y était rassemblée.

Que cette volonté s'est déchaînée,

que cette grande force s'est mise en rage,

et que cette volonté s'est élancée pour distribuer des châtiments.

La grande force a capturé des villes,

s'est moquée de ses ennemis,

et s'est abreuvée du sang de ses ennemis.

Ô, puissante volonté, puissante force.

 

[5] Je ne suis pas de ceux qui dédaignent Tchaïkovski, bien au contraire, et j'ai prévu de parler de lui. Mais il faut reconnaître ce qui est. En particulier sa 6e symphonie!

 

[6] Ce n’est pas le lieu de parler d’autre chose que de musique, mais pour résumer l’homme, il faut en rappeler le principal. Il travailla avec Mendeleïev ; il était peu soucieux de gloire, et il a été dit que certains résultats attribués à son « patron » seraient dus à Borodine. Il fonda aussi une école de médecine pour jeunes filles. Ses amis chimistes lui reprochaient de passer trop de temps à la musique, ses amis musiciens de passer trop de temps à la chimie ; sous le régime soviétique, il était plus reconnu comme savant que comme musicien.

Remarquons que plusieurs « savants », réputés également en tant qu’hommes de haute valeur morale, ont été en même temps bons musiciens : Einstein, Schweitzer….

 

[7] Critique d’art, il encouragea le groupe des Cinq, et fournit des idées ou des livrets à Rimski-Korsakov, Moussorgski, et aussi Tchaïkovski.