LEON BOELLMANN

 

 

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Voici un méconnu, voire inconnu, à tort.

 

Léon Boellmann est connu, presque seulement des amateurs d’orgue, par une seule œuvre, la Suite gothique. Et encore, dans cette Suite, c’est surtout la toccata qui est célèbre. C’est son tube, on dirait qu’il n’a écrit que cela. Le « grand public » (celui des amateurs d’orgue tout au moins) aime ce tube. Je suis persuadé que le « grand public » aimerait beaucoup d’autres airs de Boellmann, … si les musiciens daignaient en faire écouter.

 

Je fais partie du « grand public », et j’aime bien la suite gothique ; j’ai voulu en trouver plus.

C’est quasiment impossible.

La Suite gothique a été largement enregistrée (dans des disques composites), au point quelle pourrait faire l’objet de plusieurs « tribunes des critiques de disques » différentes ! 

Nota: la tribune des critiques de disques est une émission du dimanche après-midi à France-Musique, où un "jury" de critiques compare plusieurs interprétations (5 en général) d'un même morceau.

Mais du reste de ses compositions, rien ! Et pourtant, il a beaucoup écrit dans sa courte vie.

 

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Je n’ai trouvé à ce jour qu’un disque consacré à Boellmann. C’est de l’orgue, et il contient :

-                     La 1e Suite qui est cette fameuse Suite gothique

-                     la 2e Suite

-                     les 12 préludes

 

Repassant récemment à la FNAC, je n’y ai même plus trouvé ce disque : il faut maintenant le commander ! Alors puisqu’il devient pratiquement impossible de trouver du Boellmann en disque, c’est la moindre des choses que je diffuse ici une paire de morceaux en entier, par exemple l’allegretto de sa deuxième suite pour orgue (un peu trop de "rubato" à mon goût dans l'interprétation, bien que l'organiste ait raison de ralentir un peu au milieu pour mieux faire apprécier les changements de tons), et la paraphrase sur l’hymne Laudate Dominum (fichiers mp3 d'environ 3 Mo chacun; interprète Patrice Caire).

 

Je suis amateur d’orgue, et toujours curieux de toute nouvelle version de son tube ; mais maintenant j’ai une préférence pour la 2e suite ; je ne peux qu’inciter les organistes à la jouer plus souvent. Elle me paraît d’ailleurs plus difficile, pour des effets immédiats beaucoup moins spectaculaires que la gothique : ce qui rebute peut-être les concertistes. Pourtant l’expression en est charmante, et dans l’ensemble d’une nature beaucoup plus séduisante que le tube (pourvu que l’on sache rendre avec clarté le dernier mouvement, ce qui n’est qu’à moitié le cas dans mon disque…).

Les 12 préludes présentent beaucoup de pièces de même eau que la 2e suite, voisinant avec des pièces un peu plus neutres. J’écoute l’ensemble de temps en temps pour l’impression d’ingénuité et de charme qui en résulte, et où transparaît un style tout à fait personnel. En fait, j’ai parlé de pièces « neutres », mais dans l’ensemble elles ont bien supporté les écoutes successives, ce qui veut dire qu’elles ont plus de corps qu’il n’y paraît au premier abord. Le langage harmonique de Boellmann est bien de son temps, Franck et Fauré ne sont pas loin. Son ingénuité n’est pas sans rappeler celle du Franck des pièces pour harmonium, tout à fait contemporaines ; elle en diffère en ce qu’elle est moins grave et dans l’ensemble plus immédiatement séduisante. Destinées à l’église, elles représentent, avec les pièces pour harmonium de Franck et les motets de Fauré, la religiosité française fin XIXe dans ce qu’elle avait sans doute de meilleur : cette ingénuité heureuse et un peu naïve que l’on voit aussi dans l’Angélus de Millet.

 

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J’ai souvent écouté autrefois une sonate pour violoncelle et piano (que j’avais enregistrée à la radio, sur magnétophone à bobine - c'est dire que cela date!). On ne la trouve pas en CD, et c’est bien dommage. Le 2e des sites cités ci-dessous signale une version, qui devait être en disque microsillon.

 

Avis aux violoncellistes & pianistes

 

Son langage propre y fait merveille. Elle est riche d'inspiration, plaisante à écouter d’un bout à l’autre, une poétique mélancolie n’en étouffant pas la séduction. Elle propose quelques épisodes archaïsants dont l’auteur est assez coutumier (comme dans le menuet de la suite gothique) et qu’il traite de toute évidence avec le plus grand naturel. 

Il n'y a pas une littérature pour piano-violoncelle aussi abondante que pour piano-violon par exemple, loin s'en faut. Raison de plus pour tirer celle-ci de l'oubli, d'autant qu'elle peut faire un pendant ensoleillé aux sonates plus romantiques (celle de Vierne, par exemple, pour rester en France)

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Boellmann a beaucoup produit en sa courte vie. A-t-il écrit d’autre musique de la qualité de celle que je viens de citer ? Si oui, il serait bon de la tirer de l’oubli. Et la réponse est probablement oui, comme le montrent la sonate ci-dessus et l’exemple ci-dessous.

 

Qui connaît les Heures Mystiques ? Elles sont publiées, et quelques organistes les connaissent certainement. Il s’agit d’une centaine de petits morceaux pour harmonium, dont la durée moyenne est deux minutes, en deux recueils, venant en date peu après les Pièces pour Harmonium de Franck[1], et avant les « pièces en style libre » de Vierne. Ces pièces sont plaisantes et pas trop difficiles à jouer à l’orgue ou harmonium.

Les ayant tous déchiffré ou appris, je peux dire que la moitié au moins est très belle, et le reste d’inspiration un peu plus relâchée mais agréable tout de même – je n’ai pas actuellement l’installation technique pour passer de mon orgue sur l’ordinateur, sinon je vous en aurais diffusés quelques-uns avec plaisir. 

Ce recueil est d’un niveau artistique certainement égal à ceux de son prédécesseur et de son successeur. Les pièces de Vierne ont fait l’objet de plusieurs enregistrements ; celles de Franck ont récemment fait l’objet de deux enregistrements complets (Sacchini et Verdin), sans compter des extraits par ailleurs. Il n’y a pas d’enregistrement des Heures mystiques ! Joris Verdin[2] dit qu’il voudrait bien les enregistrer, mais que les producteurs de disques ne sont pas d’accord. Alors si le circuit commercial refuse de se lancer, afin que la culture reste un peu autre chose qu’une source de profits immédiats et faciles, pourquoi ne pas financer un enregistrement par le Ministère de la Culture ? Ce recueil est un élément de notre patrimoine artistique, le révéler entrerait tout à fait dans les fonctions de ce Ministère, cela ne lui coûterait pas cher. Et je suis certain qu’il trouverait un auditoire si l’information était suffisante.

 

Avis aux promoteurs (NON MERCANTILES)

 

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Il est clair que Boellmann possède un langage propre. Celui-ci ne côtoie pas les hauteurs d’un Franck, d’un Vierne, ou même les subtilités d’un Fauré. Mais il est bien agréable.

Il a tout-à-fait sa place dans mon propos, car sa musique respire la bonne humeur ; ses quelques accès de mélancolie (2e partie de la sonate avec violoncelle, atmosphère voisine de celle de la « doumka » - Dvorak et ses quatuors n’est pas loin) ne sont pas dramatiques, et gardent une certaine élégance. Sa mélodie est essentiellement séduisante, voire, diraient certains puristes, à la limite du racolage ; mais il est permis d’être « racolé » de la sorte ! l’opérette n’est pas loin. Il y utilise un langage harmonique que l’on sent proche de Fauré, avec peut-être moins de parti-pris : ce langage lui est devenu naturel, il le pratique avec beaucoup de simplicité, voire d’ingénuité. Plusieurs morceaux prennent un tour modal (dans les Heures mystiques ou la sonate avec violoncelle). D’autres un tour baroquisant (comme le menuet de la suite gothique).

L’ingénuité : c’est cela qu’il a en commun avec Franck ; Franck nous élève peut-être plus,  mais Boellmann nous séduit plus au premier abord. Selon mon impression d’ailleurs, le Franck des Pièces pour Harmonium est plus proche du Boellmann des Heures Mystiques que, par exemple, du Franck des Trois Chorals.

Soulignons aussi sa prodigalité. Il se soucie peu de longuement développer. Il nous livre ses mélodies sans compter. Je disais que l’opérette n’est pas loin ; mais il y a peut-être plus de belles mélodies dans les quelques ouvrages précités que dans toute la production d’opérettes de l’époque ; les plus belles sont même peut-être dans les plus courtes des Heures Mystiques .

La légèreté propre au style de l’opérette y est toutefois atténuée par un certain sens de l’hymne, propre au style de l’instrument, et que d’aucuns pourraient qualifier de « sulpicien ». Sulpicien, peut-être, et alors ? Cela a plu à beaucoup de gens dont on supposera que ce n’étaient pas tous des demeurés, alors pourquoi un genre même « sulpicien » n’aurait-il pas sa beauté ?

 

 

Tout cela lui donne un style tout à fait personnel et reconnaissable, et nous procure des moments de plaisir simple et entier. On ne veut pas, ou on ne peut pas, toujours s’embarquer dans les grands voyages des œuvres sublimes. D’un autre côté, on n’a pas non plus toujours le temps de se plonger dans une opérette, où, il faut bien le dire, les quelques beaux airs se font quand même souvent désirer. Certains jours, on préfère se contenter de courtes promenades pour apprécier de la beauté simple et directe : voilà pourquoi on peut aimer Boellmann.

 

Mais qu’attendent donc les musiciens pour le jouer ?

 

Avis aux musiciens

 

 

 

Références

 

http://www.musimem.com/boellmann.htm

http://www.boellmann-gigout.fr.fm

 

1e et 2e suites pour orgue; 12 préludes pour orgue. Patrice Caire à l'orgue de St Bonaventure, Lyon. 8 REM.

 

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[1] Intitulées « l’Organiste » par l’éditeur, mais après la mort de l’auteur (cf. mon prochain article sur Franck…)

[2] qui a déjà enregistré les pièces pour harmonium de Franck, cf. mon article sur celui-ci.