Voici un méconnu, voire
inconnu, à tort.
Léon Boellmann est connu,
presque seulement des amateurs d’orgue, par une seule œuvre,
Je
fais partie du « grand public », et j’aime bien la suite gothique ;
j’ai voulu en trouver plus.
C’est
quasiment impossible.
Nota: la tribune des critiques de disques est une émission du dimanche
après-midi à France-Musique, où un "jury" de critiques compare
plusieurs interprétations (5 en général) d'un même morceau.
Mais
du reste de ses compositions, rien ! Et pourtant, il a beaucoup écrit dans
sa courte vie.
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Je
n’ai trouvé à ce jour qu’un disque consacré à Boellmann. C’est de
l’orgue, et il contient :
-
La 1e
Suite qui est cette fameuse Suite
gothique
-
la 2e
Suite
-
les 12
préludes
Repassant récemment à
Je
suis amateur d’orgue, et toujours curieux de toute nouvelle version de son tube ;
mais maintenant j’ai une préférence pour la 2e suite ; je ne
peux qu’inciter les organistes à la jouer plus souvent. Elle me paraît
d’ailleurs plus difficile, pour des effets immédiats beaucoup moins
spectaculaires que la gothique : ce qui rebute peut-être les
concertistes. Pourtant l’expression en est charmante, et dans l’ensemble d’une
nature beaucoup plus séduisante que le tube (pourvu que l’on sache
rendre avec clarté le dernier mouvement, ce qui n’est qu’à moitié le cas
dans mon disque…).
Les
12 préludes présentent beaucoup de pièces de même eau que la 2e suite,
voisinant avec des pièces un peu plus neutres. J’écoute l’ensemble de temps en
temps pour l’impression d’ingénuité et de charme qui en résulte, et où
transparaît un style tout à fait personnel. En fait, j’ai parlé de pièces
« neutres », mais dans l’ensemble elles ont bien supporté les écoutes
successives, ce qui veut dire qu’elles ont plus de corps qu’il n’y paraît au
premier abord. Le langage harmonique de Boellmann est bien de son temps, Franck
et Fauré ne sont pas loin. Son ingénuité n’est pas sans rappeler celle du
Franck des pièces pour harmonium, tout à fait contemporaines ; elle en
diffère en ce qu’elle est moins grave et dans l’ensemble plus immédiatement
séduisante. Destinées à l’église, elles représentent, avec les pièces pour
harmonium de Franck et les motets de Fauré, la religiosité française fin XIXe
dans ce qu’elle avait sans doute de meilleur : cette ingénuité heureuse et
un peu naïve que l’on voit aussi dans l’Angélus de Millet.
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J’ai souvent écouté autrefois une sonate pour violoncelle et piano (que j’avais enregistrée à la radio, sur magnétophone à bobine - c'est dire que cela date!). On ne la trouve pas en CD, et c’est bien dommage. Le 2e des sites cités ci-dessous signale une version, qui devait être en disque microsillon.
Son
langage propre y fait merveille. Elle est riche d'inspiration, plaisante à
écouter d’un bout à l’autre, une poétique mélancolie n’en étouffant pas la
séduction. Elle propose quelques épisodes archaïsants dont l’auteur est assez
coutumier (comme dans le menuet de la suite gothique) et qu’il traite de toute
évidence avec le plus grand naturel.
Il
n'y a pas une littérature pour piano-violoncelle aussi abondante que pour
piano-violon par exemple, loin s'en faut. Raison de plus pour tirer celle-ci de
l'oubli, d'autant qu'elle peut faire un pendant ensoleillé aux sonates plus
romantiques (celle de Vierne, par exemple, pour rester en France)
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Boellmann
a beaucoup produit en sa courte vie. A-t-il écrit d’autre musique de la qualité
de celle que je viens de citer ? Si oui, il serait bon de la tirer de
l’oubli. Et la réponse est probablement oui, comme le montrent la sonate ci-dessus et l’exemple
ci-dessous.
Qui connaît les Heures
Mystiques ? Elles sont publiées, et quelques organistes les
connaissent certainement. Il s’agit d’une centaine de petits morceaux pour
harmonium, dont la durée moyenne est deux minutes, en deux recueils, venant en
date peu après les Pièces pour Harmonium de Franck[1],
et avant les « pièces en style libre » de Vierne. Ces pièces sont
plaisantes et pas trop difficiles à jouer à l’orgue ou harmonium.
Les ayant tous déchiffré
ou appris, je peux dire que la moitié au moins est très belle, et le reste
d’inspiration un peu plus relâchée mais agréable tout de même – je n’ai pas
actuellement l’installation technique pour passer de mon orgue sur
l’ordinateur, sinon je vous en aurais diffusés quelques-uns avec plaisir.
Ce recueil est d’un niveau
artistique certainement égal à ceux de son prédécesseur et de son successeur.
Les pièces de Vierne ont fait l’objet de plusieurs enregistrements ;
celles de Franck ont récemment fait l’objet de deux enregistrements complets
(Sacchini et Verdin), sans compter des extraits par ailleurs. Il n’y a pas
d’enregistrement des Heures mystiques ! Joris Verdin[2]
dit qu’il voudrait bien les enregistrer, mais que les producteurs de disques
ne sont pas d’accord. Alors si le circuit commercial refuse de se lancer,
afin que la culture reste un peu autre chose qu’une source de profits immédiats
et faciles, pourquoi ne pas financer un enregistrement par le Ministère de
Avis aux promoteurs
(NON MERCANTILES)
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Il
est clair que Boellmann possède un langage propre. Celui-ci ne côtoie pas les
hauteurs d’un Franck, d’un Vierne, ou même les subtilités d’un Fauré. Mais il
est bien agréable.
Il
a tout-à-fait sa place dans mon propos, car sa musique respire la bonne
humeur ; ses quelques accès de mélancolie (2e partie de la
sonate avec violoncelle, atmosphère voisine de celle de la « doumka »
- Dvorak et ses quatuors n’est pas loin) ne sont pas dramatiques, et gardent
une certaine élégance. Sa mélodie est essentiellement séduisante, voire,
diraient certains puristes, à la limite du racolage ; mais il est permis d’être
« racolé » de la sorte ! l’opérette n’est pas loin. Il y utilise
un langage harmonique que l’on sent proche de Fauré, avec peut-être moins de
parti-pris : ce langage lui est devenu naturel, il le pratique avec
beaucoup de simplicité, voire d’ingénuité. Plusieurs morceaux prennent un tour
modal (dans les Heures mystiques ou la sonate avec violoncelle). D’autres un
tour baroquisant (comme le menuet de la suite gothique).
L’ingénuité : c’est cela qu’il a en commun avec
Franck ; Franck nous élève peut-être plus, mais Boellmann nous séduit plus au
premier abord. Selon mon impression d’ailleurs, le Franck des Pièces pour
Harmonium est plus proche du Boellmann des Heures Mystiques que, par exemple,
du Franck des Trois Chorals.
Soulignons
aussi sa prodigalité. Il se soucie peu de longuement développer. Il nous
livre ses mélodies sans compter. Je disais que l’opérette n’est pas loin ;
mais il y a peut-être plus de belles mélodies dans les quelques ouvrages
précités que dans toute la production d’opérettes de l’époque ; les plus
belles sont même peut-être dans les plus courtes des Heures Mystiques .
La
légèreté propre au style de l’opérette y est toutefois atténuée par un certain
sens de l’hymne, propre au style de l’instrument, et que d’aucuns pourraient
qualifier de « sulpicien ». Sulpicien, peut-être, et alors ?
Cela a plu à beaucoup de gens dont on supposera que ce n’étaient pas tous des
demeurés, alors pourquoi un genre même « sulpicien » n’aurait-il pas
sa beauté ?
Tout
cela lui donne un style tout à fait personnel et reconnaissable, et nous
procure des moments de plaisir simple et entier. On ne veut pas, ou on ne peut
pas, toujours s’embarquer dans les grands voyages des œuvres sublimes. D’un
autre côté, on n’a pas non plus toujours le temps de se plonger dans une
opérette, où, il faut bien le dire, les quelques beaux airs se font quand même
souvent désirer. Certains jours, on préfère se contenter de courtes promenades
pour apprécier de la beauté simple et directe : voilà pourquoi on peut
aimer Boellmann.
Mais
qu’attendent donc les musiciens pour le jouer ?
Avis aux musiciens
Références
http://www.musimem.com/boellmann.htm
http://www.boellmann-gigout.fr.fm
1e et 2e suites
pour orgue; 12 préludes
pour orgue. Patrice Caire à l'orgue de St Bonaventure, Lyon. 8 REM.